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Finitions

Le travail de la matière appelle en sa fin l’étape de la finition.

 

Le céramiste émaillera, le plâtrier lissera, le pâtissier glacera, le marqueteur vernira…

Gestes techniques par excellence, les finitions ponctuent la maîtrise de l’art.

 

Pour le bois, selon que l’on peigne, sculpte, restaure, agence, fabrique, parquette, charpente, tourne, rénove, marquette, le geste sera différent.

Mais la finition d’une pièce ne se résume pas uniquement en polissage, lustrage, ponçage, vernissage, dorure, craquelage, peinture, céruse, encaustique, glacis, laque ou patine.

 

Geste ou matière, qu’importe !

 

Finition, enfant de la fin, n’a pas de verbe.

Finir croit terminer lorsque finaliser croit achever.

Mais l’un comme l’autre ne traduisent pas la dimension de la créativité.

 

Si l’on me demande ce que je fais au moment de l’encaustique, du vernis ou du lustrage, je ne peux répondre que je suis en train de « finiter » la pièce. Mais je ne peux pas plus répondre que je suis en train de la finir ou la finaliser.

Si l’on me demande, plus simplement, si ma pièce est finie ? Par ellipse, j’indique si elle se trouve encore ou pas sur le tour. Et si elle ne s’y trouve plus, est-elle finie pour autant ?

 

 

Finir évoque la fin et en cela ne révèle pas la complexité de la finition.

 

Euphémisme : « c’est la fin ». Expression qui traduit la dimension éthérée du temps lorsque s’arrête une vie.  S’en suivent souvent ces mots « il est parti ». Mais celui qui part quitte. Du point d’arrêt naît le mouvement, favorisant le passage d’une frontière qui sépare l’avoir été de l’être-là.

Paradoxe : « ça finira bien par arriver ». Bien ou mal, quel est ce ça qui ponctue et émerge à la fois ? Étrange expression contenant son commencement dans son aboutissement.

 

Travailler à la finition d’une pièce n’en marque ni la fin ni l’achèvement, mais le commencement d’autre chose, l’amorce d’un devenir qui échappe au geste initial de la création.

La pièce séparée du tour est-elle finie ? Ou entame-t-elle un autre chemin ?

 

Quittant la solitude de l’atelier, la pièce quitte aussi le regard du seul tourneur.

Montrée, la forme attire les corps des observateurs, la finition attache leurs regards. Mais si la forme parle, la finition reste muette, diluée en la pièce, uni-taire, elle se tait. A peine voit-on du bout des doigts la brillance d’une texture, à peine le regard effleure-t-il sa douceur, à peine entend-on le chemin parcouru de la matière à l’objet.

 

Alors la finition ne peut être faite que de mots pour traduire la création : nommer sa pièce, en dire les franchissements, les atermoiements, les sentiments, les éprouvés, les ressentis, le perçu, le touché, l’émotion. En narrer l’instant, en former l’infini.

 

 

A l’un-fini, l’autre commence. Chaque fois recommence.

Alors je vais puiser aux confins de moi-même mes états, ceux qui me traversèrent en ouvrageant, ceux qui me submergèrent en regardant. Il me faut faire l’effort, de cette lente plongée au cœur du sous-venir pour pouvoir dire son nom à cette pièce, lui raconter comment elle a commencé, ce qui fit naissance en sa fine essence.

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